mercredi 6 juin 2012

L'instinct de survie



Il y a tellement de choses à retenir du quart de finale exceptionnel livré par Novak Djokovic et Jo-Wilfried Tsonga. Les joueurs - et tous les spectateurs, journalistes compris - sont passés par tous les états durant ces quatre heures de jeu. Un point. Il n'a manqué qu'un point au Français pour réaliser un nouvel exploit en Grand Chelem, lui qui peut se targuer d'avoir déjà sorti le Serbe, mais aussi Nadal et Federer d'un Majeur. Alors qu'est-ce qui a fait la différence ? Rien, quand il s'agit d'un point. Mais je me demande si ce n'est pas plus profond que ça. Et si la différence entre ce Big 4 et le reste, c'était cet instinct de survie quasi mystique qui s'empare d'eux quand l'heure est gravissime ? Parce qu'hier, ce qui a sauvé Djokovic c'est ce rejet physique de la défaite et la bascule mentale que le signal du danger a amené.

On a vu une chose similaire avec Murray contre Nieminen et Gasquet. On l'a vu aussi je ne sais combien de fois chez Nadal. Federer, si c'est plus discret ces derniers temps, a lui aussi renversé un grand nombre de matches mal embarqués. Pas le match contre Del Potro hier. Je suis désolée, mais c'est le genou de Del Po qui a rendu l'âme après deux sets. Il ne veut pas l'admettre, rendons mérite à sa classe. Mais l'évidence a crevé les yeux. Encore fallait-il être capable de garder sa lucidité pour en profiter, ce que le Suisse a très bien su faire. L'expérience permet aussi aux cadors de devenir injouables dans les grands rendez-vous. Et il n'y a pas que les hommes. On se souvient récemment toutes et tous des renversements de tendance hallucinants effectués par Serena Williams ou encore Maria Sharapova, etc. Tout au long de l'histoire du tennis, on remarque quand même que les plus grands champions ont écrit leur légende en repoussant des limites mentales que la plupart des très bons joueurs n'atteindront jamais.

Un supplément d'âme qui ne s'apprend pas

Je ne suis pas certaine qu'on puisse acquérir cette force-là. Djokovic, les Williams et même Sharapova la tirent sans doute d'une enfance envolée où pour sortir de leur condition et pour permettre à leur famille de vivre, ils devaient gagner. Cette soif éternelle de reconnaissance et de revanche, on la lit tous les jours dans les yeux du Serbe. Nadal ? Elevé dans une famille de sportifs de haut niveau, il a développé un esprit de compétition hallucinant. Timide dans la vie de tous les jours, il se débloque sur un court. Il n'a jamais manqué de rien mais c'est un compétiteur ultime. Il ne hait pas la défaite, il l'exècre. Toutes les souffrances sur le court il va les accepter, tous les sacrifices hors du court il va les faire : il ne laissera rien se mettre entre lui et la victoire. Si ça fait mal, tant pis. Sa finale de Wimbledon en 2008 est le résumé de tout ce qui fait Rafa : un condensé d'instinct de survie du cador. Est-ce que cela s'apprend ? Je ne pense pas. Federer ? Un cas à part. Il n'a jamais eu besoin de gagner pour survivre, mais son talent l'a porté si haut qu'il n'a plus jamais accepté de descendre. Son instinct de survie, c'est sa confiance absolue. Sa certitude qu'il est le meilleur, un point c'est tout.  Et Murray me direz-vous. Ah Andy... Non, il n'a pas encore gagné de Majeur. Oui, il est survivor. Il n'y a pas un joueur sur le circuit qui subisse autant de pression médiatique que Murray. Il n'y a pas un joueur sur le circuit à qui on demande semaine après semaine s'il croit qu'il va réussir à en gagner un ou s'il restera l'éternel loser. Il n'y a pas un joueur qui avec tout son talent ne serait pas devenu dingue en se cassant toujours les dents sur la dernière marche. Allez, on a même envie de dire que Murray a sans doute avec Federer la meilleure main des Quatre Fantastiques. Même si on conseille aux amateurs de stéréotypes de bien regarder Djokovic et Nadal : des mains en or. Un événement fondateur ? Ce drame de son enfance avec ce fou qui débarque armé dans son école à Dunblane ? Peut-être.

Des hommes hors du commun

A Roland-Garros depuis l'an dernier on voit bien que lui non plus n'est pas fait du même métal que les autres. Blessé, conspué, sur sa moins bonne surface il ne plie pas mais se marre. Il a adoré se faire pourrir par tout le central contre Gasquet. Comme s'il avait lui besoin de se retrouver dans les cordes pour se révéler. Dans son cas, l'instinct de survie est intermittent, et la haine de la défaite peut aussi bien le bloquer que le délivrer.  Djokovic l'a dit hier à la presse : à ce niveau-là, tout est dans la tête. La tête, les nerfs, le coeur. On en vient à ce petit supplément d'âme. Le Big 3 l'a et capitalise dessus dans le money time. Murray l'a mais ne parvient pas à le dompter. Derrière ? Je ne vois que Del Potro et Tsonga pour avoir des tripes à la hauteur. Mais leur talent restant un peu moins grand que celui des trois autres, ils ne peuvent pas rêver de domination. Il n'empêche qu'avec un coeur grand comme ça, on peut aller décrocher un bout de lune. Del Po l'a fait à l'US Open en 2009. Djokovic mardi, comme lors des demies de l'US Open 2010 et 2011, a trouvé on ne sait où ce qui fait encore un peu plus entrer un joueur dans la catégorie des plus grands de tous les temps. On n'y entre pas seulement par les titres, mais aussi par la marque qu'on laisse dans la mémoire collective. Il n'y a aucun doute que les 3 monstres qui évoluent aujourd'hui sous nos yeux - et pitié cessez de vous plaindre de leur domination, on vit un âge d'or qu'on pourrait ne pas retrouver d'ici longtemps! - ont déjà leur place dans le haut de la liste des plus Grands. Parce qu'ils sont plus que des joueurs d'exceptions, ils sont des hommes hors du commun. En sport, comme ailleurs, ce sont bien ceux-là qui marquent à vie.

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